Je mène actuellement une expérimentation de décloisonnement de mes enseignements en deuxième année de licence.
Les enseignements universitaires sont-ils cloisonnés ?
Quel sens faut-il donner à ce mot ? Dans l’UFR où je travaille, les enseignements se font traditionnellement en présence et prennent essentiellement trois formes :
- Les cours magistraux (CM) pendant lesquels les élèves écoutent un exposé fait par une personne enseignante et prennent des notes. Sauf exception, le modèle pédagogique est l’enseignement frontal participatif. Frontal parce que la personne enseignante fait face aux étudiantes et étudiants. Participatif parce que les personnes apprenantes sont censées interagir en posant des questions et / ou en répondant à des questions.
- Les travaux dirigés (TD) pendant lesquels les élèves traitent des exercices qui sont ensuite corrigés, soit par la personne enseignante, sous le regard et avec l’aide de la personne enseignante, soit par une personne apprenante (volontaire ou non) appelée au tableau.
- Les travaux pratiques, qui prennent des formes différentes selon les disciplines enseignées. Dans le cas de l’informatique, il s’agit généralement de travaux réalisés sur ordinateur par les élèves, seuls ou en binôme. Ces travaux peuvent être évalués ou non. Ils se font avec une relative autonomie, l’enseignant étant disponible pour apporter de l’aide à celles et ceux qui en ont besoin.
Chaque séance de CM, TD et TP est soumise à une sorte de règle implicite d’unité de temps, de lieu et d’action, un peu comme les pièces de théâtre classiques.
- Unité de temps et de lieu parce que tous les élèves d’un même groupe se rassemblent au même moment et dans une même salle d’enseignement lors de chaque séance de CM, TD et TP.
- Unité d’action parce que lors d’une séance, toutes les personnes apprenantes font la même activité en même temps. Elle suivent le même exposé, au même rythme, en CM ou traitent les mêmes exercices en TD et TP.
Ces règles représentent une forme de cloisonnement des activités pédagogiques encadrées par des personnes enseignantes.
L’expérimentation de décloisonnement
Dans le cadre de cette expérimentation, les personnes apprenantes sont autorisées à remplacer certaines activités en présence (CM, TD) par des activités en autonomie réalisées au moment et dans le lieu de leur choix. Lorsqu’elles travaillent en autonomie, les personnes apprenantes peuvent obtenir l’aide d’une personne enseignante en la contactant via une messagerie collaborative.
La personne apprenante décide si elle vient assister à un cours ou un TD ou si elle étudie en autonomie. Dans ce deuxième cas, elle peut poser des questions à son enseignant de TD via Team. Elle progresse à son propre rythme et non à un rythme imposé. Un curriculum de référence, qui représente la progression permettant de couvrir tout le programme avant l’examen, est donné à titre indicatif. Plutôt que d’essayer de tout apprendre et de finir par ne rien maîtriser, une personne étudiante ne pouvant assimiler l’ensemble du programme peut choisir de concentrer ses efforts sur une partie des objectifs en visant la maîtrise d’un socle de compétences suffisant pour valider l’unité d’enseignement.
Tout ceci nécessite un matériel pédagogique spécifique orienté vers l’auto-apprentissage. Le but n’est pas de se passer de la personne enseignante, mais au contraire de lui permettre de libérer du temps pour aider et accompagner individuellement chacun et chacune de ses élèves.
Pourquoi et comment ?
Quelles raisons ont bien pu m’amener à augmenter de manière très significative ma charge de travail (sans aucune contrepartie financière) pour pouvoir donner plus de liberté à mes étudiantes et étudiants, et comment m’y suis-je pris ?
Pourquoi ?
Je pense que l’enseignement en présence ne doit en aucun cas être considéré comme une finalité ni comme un objectif, mais comme un moyen de transmettre un savoir à des personnes souhaitant acquérir ce savoir. Si d’autres approches peuvent être plus efficaces ou aussi efficace mais en améliorant la qualité de vie des personnes enseignantes et / ou des personnes apprenantes, alors elles doivent être explorées, évaluées et, si possible, appliquées.
Or les conditions de travail en enseignement en présence à l’université sont loin d’être idéales. Par exemple :
- La densité humaine dans les salles est souvent élevée, au point que la personne enseignante à du mal à s’approcher de certains élèves et qu’il Il est difficile d’éviter un bruit de fond peu propice à une bonne concentration.
- Beaucoup de personnes apprenantes ne disposent pas d’un ordinateur portable ou d’une tablette, ce qui limite l’utilisation de ressources pédagogiques numériques.
- Les ressources limitées imposent des contraintes d’emploi du temps peu propices à un apprentissage optimal.
Comment ?
Le CM traditionnel de type exposé est remplacé par des activités de découvertes basées sur l’alternance de deux types d’actions :
- La lecture active d’une présentation, d’une explication, qui dure rarement plus de quelques minutes.
- Le traitement d’un ou plusieurs exercices courts, en rapport direct avec ce qui vient d’être lu, qui oblige à revenir sur les notions et méthodes récemment introduites.
Les exercices imposés des séances de TD traditionnels sont remplacés par des exercices sélectionnés par chaque personne apprenante en fonction de la partie du programme sur laquelle elle travaille. Le niveau de chaque exercice peut être ajusté, en révélant des indices, de manière à le rendre plus accessible en cas de blocage, dans le respect du principe suivant : traiter des exercices difficiles mais surmontables.
Pour quelles raisons travailler en autonomie ?
Voici quelques avantages du travail en autonomie :
- Disposer d’un ordinateur pour traiter les exercices qui s’y prêtent (quand on a pas d’ordinateur portable).
- Pouvoir travailler dans le calme absolu.
- Ne pas avoir à porter de masque lors des crises sanitaires.
- Répartir le travail en plusieurs périodes de plus courtes durées (il est démontré que cela améliore l’efficacité de l’apprentissage).
- Choisir ses horaires de travail.
Pour quelles raisons travailler en présence ?
Voici quelques avantages du travail en présence :
- Bénéficier de l’aide immédiate d’un enseignant.
- Voir du monde.
- Échanger des idées, solutions et s’entraider avec d’autres étudiantes et étudiants.
- Communiquer en face à face avec l’enseignant.
Perspective : le meilleur des deux mondes
Je suis convaincu que les outils numériques et le concept d’auto-apprentissage accompagné peuvent permettre de proposer des formations « à la carte », accessibles aussi bien sur un campus qu’à distance, ou encore en mode hybride, pouvant être ou non validées par des certifications de compétences. J’imagine des formations de tous niveaux moins contraignantes et plus personnalisables, tant au niveau des programmes que des modalités d’apprentissage, que les « packages » proposés actuellement par les universités, les écoles d’ingénieurs, mais aussi les établissements d’enseignement secondaires. Je pense que l’Université pourrait prendre une part importante à une telle évolution.