Documents autorisés aux examens et alignement pédagogique

Un de mes rôles, en tant que responsable d’unités d’enseignement, est de concevoir les sujets et de préciser les modalités des examens afférents. Au cours des 26 dernières années, je n’ai jamais interdit totalement les documents lors des épreuves. Soit j’autorise tous les documents personnels, incluant les supports de cours et notes prises dans les cadres des TD et TP, sous forme manuscrite ou imprimée, soit j’autorise un aide-mémoire constitué d’un nombre limité de pages, par exemple 4 ou 6 feuilles A4 recto-verso avec contenu libre.

Lorsque j’évoque ce point lors de discussions à l’extérieur de l’université, les personnes à qui je m’adresse sont assez souvent interloquées.

« Mais… alors tout le monde a une bonne note ? » (non)

« Est-ce que ce n’est pas trop facile ?! » (non)

Et même à l’université, dans d’autres disciplines, certaines et certains collègues sont un peu septiques et n’ont de toute évidence pas du tout la même approche.

Pourquoi autoriser les documents ?

Pourquoi devrait-on les interdire ? Quel est l’objectif de l’examen ? Qu’évalue-t-on ? Que représente la note obtenue ?

Il faut raisonner en termes d’alignement pédagogique.

L’examen, qui a le rôle d’une évaluation certificative, doit être réussi par les personnes ayant atteint les objectifs de l’unité d’enseignement et uniquement par ces personnes. Les activités d’apprentissage doivent permettre aux élèves d’atteindre, autant que possible, ces objectifs, et donc de réussir l’examen.

Si un des objectifs est de mémoriser des informations, alors il faut évidemment proscrire les documents lors des examens. Mais si l’objectif est, par exemple, d’acquérir des compétences en ingénierie, d’être capable de concevoir des systèmes complexes en exploitant des briques de construction dont on comprend les rôles et fonctionnements et dont on est capable de prévoir les interactions, alors il en va tout autrement. On n’imagine pas un ingénieur ou une ingénieure, ou toute personnes concevant un système complexe, s’obliger à travailler sans document.

On pourrait se poser la question pour le « bac de français », dont l’épreuve écrite se fait sans dictionnaire. Lorsque je l’ai passée, au siècle dernier, j’avais buté, lors d’une analyse de texte, sur un mot essentiel dont je ne connaissais pas le sens. À l’époque, j’avais considéré cela comme un « coup de malchance ». Avec le recul, je m’interroge. On apprend des mots tout au long de la vie. Est-on censé en connaitre une liste précise l’année du bac ? Si c’est le cas, ne faudrait-il pas la rendre publique ? À défaut, ne faudrait-il pas distribuer des dictionnaires lors des épreuves, afin que les candidates et candidats se concentrent sur des objectifs tels que analyser, construire un texte, argumenter, faire preuve de pensée critique ?

Revenons à l’université. En 14 semaines, dans chacune des 4 ou 5 unités d’enseignement d’un semestre, les étudiantes et les étudiants doivent maitriser des dizaines de compétences, assimiler des centaines de notions, concepts, principes, méthodes, techniques, qui seront en grande partie oubliés dans les mois suivants. Ces personnes apprenantes devraient-elles concentrer leurs efforts sur la mémorisation ou sur des objectifs cognitifs de plus hauts niveaux tels que la compréhension, l’analyse, la déduction, la généralisation, la synthèse, l’évaluation, la création ? Pour moi, la réponse est évidente.

Il ne me viendrait pas à l’idée de demander aux personnes qui suivent mes enseignements de mémoriser les détails syntaxiques d’un langage de programmation que beaucoup d’entre elles n’utiliseront jamais dans leur vie professionnelle. Pas plus que je ne les obligerais mémoriser les règles de décomposition de termes de lambda-calcul que j’oublie moi-même tous les ans. Je préfère les inciter :

  • à prendre du recul, à se forger une représentation mentale opérative des nouvelles connaissances que je leur fait découvrir, à établir des liens avec ce qui est déjà connu,
  • à créer des documents, comme par exemple des fiches qui synthétisent les connaissances nouvellement acquises et facilitent leur exploitation,
  • à traiter des exercices alignés avec les objectifs pédagogiques en exploitant des documents pour la recherche des informations nécessaires.

Sans être expert en sciences de l’éducation, j’ai remarqué que traiter des exercices de haut niveau (comprendre, appliquer, analyser, évaluer, concevoir) permettait de retenir « gratuitement » des informations dont la mémorisation par d’autres moyens, comme la répétition, aurait été couteuse en temps et en efforts. Et si on a oublié certaines choses qu’on a pas souvent utilisées, quel mal y aurait-il à les rechercher dans des documents ? Aucun, à mon avis, dans les domaines concernés par mes enseignements.