Je viens de visionner une vidéo extrêmement intéressante dans laquelle une enseignante de physique en lycée, Marie-Camille Coudert présente une approche atypique à la fois de la signification des notes de ses élèves et de la manière de produire ces notes. De nombreux points m’interpellent dans cette vidéo, et comme je réfléchis à ce sujet depuis des années, j’ai pris le temps de comparer l’approche de Marie-Camille avec l’état actuel de mes réflexions. Il faut garder à l’esprit que j’enseigne de Bac+2 à Bac+5, donc que mes objectifs pédagogiques sont sensiblement différents.
Souvent, la note est vue comme un instrument de mesure.
C’est ce que dit Marie-Camille au début de la vidéo. Je suis d’accord, la note est vue comme une mesure dans un esprit « examen », ou de comparaison, dans un esprit « concours ». En début de carrière, je ne savais pas trop ce que représentaient les notes que j’attribuais. A présent, je les considère comme des indicateurs de compétences. Mais surtout, je mets des notes seulement par nécessité et je préconise d’abandonner les notes chiffrées au profit de profil de compétences indiquant ce que chaque Apprenant sait faire et ne sait pas faire.
La docimologie
Ce mot apparait dans la vidéo. C’est la science qui étudie les évaluations en pédagogie. Alors là, je suis stupéfait parce que je suis enseignant depuis 26 ans et je ne connaissais pas ce terme. Voilà qui incite à réfléchir. Je n’ai jamais vraiment suivi de formation ni eu de discussion avec des collègues sur la signification des notes qu’on attribue. Tout se passe comme s’il y avait un consensus silencieux.
Un instrument de mesure qui n’est pas précis du tout
Marie-Camille parle d’une incertitude de plus ou moins 2 points pour des notes données par un même Enseignant. Je partage largement cette estimation lors qu’il est question d’évaluer les mêmes compétences par deux épreuves différentes. Cette « imprécision » dépend bien évidemment du type d’évaluation. Dans le cas de la correction d’une pile de copies basées sur le même sujet, l’équité de la correction est pour moi une obsession. Il m’arrive souvent, après avoir corrigé des dizaines de copies, de changer d’avis sur la pénalité d’une certaine erreur et de revenir en arrière pour répercuter la modification sur les copies précédentes. J’espère que la différence ne dépasse pas un point pour des copies identiques corrigées à plusieurs heures d’intervalle. Mais si je corrigeais le même paquet de copies à quelques mois d’intervalle, alors je pense qu’un écart de 2 points sur les moyennes serait possible. Et s’il s’agissait de deux sujets différents pour évaluer les mêmes compétences, un écart encore plus important me semble tout à fait réaliste.
On crée un faux sentiment de précision
Marie-Camille dit qu’on donne des moyennes avec 2 chiffres après la virgule alors qu’elles sont calculées à partir de notes « pas du tout précises » et je partage complètement cet avis. Je pense qu’il faudrait vraiment arrêter de présenter les notes avec une granularité aussi faible, alors même qu’on ne sait pas exactement ce que représente vraiment un ou même deux points d’écart. Ceci dit, je pense qu’il faudrait carrément abandonner les notes pour les examens, et ne les conserver que pour les concours…)
La note n’est pas une mesure, c’est un message
Cette idée de Marie-Camille me paraît très intéressante. Je n’y avais jamais vraiment pensé, mais ça mérite réflexion. En l’état actuel de ma réflexion sur le long terme, je considère plutôt la note comme un indicateur de compétence, ou plus exactement de la proportion des compétences maîtrisées par l’Apprenant concerné au regard des objectifs pédagogiques. Peut être faut-il distinguer les rôles des notes d’évaluation formatives et de celles d’évaluations sommative ?
Les messages envoyés par la note sont plus ou moins universels
D’après Marie-Camille, si un élève a moins de la moyenne, c’est un message d’alerte (manque d’engagement ou gros problèmes de lacune). Ici, il y a un mot qui me fait bondir littéralement, c’est le mot moyenne utilisé dans le sens de 10/20. Je pense qu’il ne faut surtout pas assimiler les deux. 10/20 est le milieu de l’intervalle de notation, mais il n’y a aucune raison particulière pour que cela corresponde à la note moyenne d’une cohorte d’Apprenants. Et encore moins si la note est un message. Je pense que le mot moyenne a été utilisé ici par habitude de langage, mais qu’il faut essayer de ne pas le faire, car derrière il y a l’idée vraiment mauvaise que la moyenne d’une classe devrait être de 10/20. En remplaçant moyenne par 10/20, je suis plutôt d’accord sur l’interprétation du message représenté par un note plus basse que cette valeur de référence. Avec toutefois une nuance : une note inférieure à 10/20 peut aussi concerner, notamment, Un Apprenant qui a les bases, qui est engagé, mais qui a besoin de plus de temps, d’un rythme d’apprentissage plus lent que celui imposé. A cet égard, je suis un farouche défenseur de l’enseignement asynchrone.
La signification des notes
Marie-Camille propose les critères suivants.
- Jamais de notes inférieure à 7 : Le message pour les notes inférieures serait le même et serait plus décourageant.
- 8 à 9 : Elèves qui ne sont pas engagés.
- 10 : signifie que l’élève concerné a réussi à faire les exercices d’application de tous les chapitres, avec droit à l’erreur, donc possibilité de réessayer.)
- Entre 11 et 15 la note dépend du nombre d’objectifs d’apprentissage atteints.
- A partir de 16, on arrive dans la tête de classe. La note distingue les très bons élèves des excellents. Elle est basée sur l’implication, l’investissement pour changer la dynamique de groupe.
- Pour avoir une note entre 18 et 20, il faut en plus acquérir des compétences au delà du programme.
Cette approche me paraît intéressante, très cohérente, et a le mérite de donner un sens clair à la note d’un élève. A titre personnel, j’utilise tout l’intervalle de notation puisque mes notes sont des indicateurs de compétences. Si un Étudiant ne maîtrise aucune des compétences qui constituent l’objectif pédagogique de l’unité d’enseignement concernée, alors il devrait avoir une note de 0/20. J’estime qu’une note de 10/20 devrait indiquer que l’Étudiant concerné maîtrise les objectifs pédagogiques à un niveau suffisant pour pouvoir acquérir et consolider les compétences manquantes de manière autonome, en bénéficiant de l’aide ponctuelle d’un spécialiste. A 16/20, il maîtrise l’ensemble des compétences visées et est à même de faire face en toute autonomie aux situations courantes relevant de ces compétences. Toutefois, il peut avoir besoin de l’assistance d’un expert dans certaines situations présentant des difficultés techniques et/ou qui demandent une certaine expérience. L’intervalle au delà de 16/20 permet de départager les Étudiants qui on dépassé les objectifs pédagogiques. En pratique, j’ai adopté cette année pour la plupart des mes enseignements la pédagogie par badges, et chaque badge contribue à la note finale à hauteur d’un certain nombre de points.
Modalités d’évaluation proposées
Je résume les modalités d’évaluation proposées par Marie-Camille.
- Une description des « paliers de notes » est données aux élèves dès le début du trimestre. Sur cette base, ils décident la note qu’ils vont viser. Ils doivent viser au minimum 10, s’ils visent en dessous, il y a un problème d’orientation. Ils doivent établir un plan de travail adapté à leur objectif.
- Le fait de rater n’est jamais pénalisé. Un élève qui rate une évaluation a le droit d’en retenter une nouvelle. On change le statut de l’erreur qui n’est plus quelque chose à éviter, mais quelque chose qui permet d’avancer.
- Une note indicative est donnée à mi trimestre (coefficient 0).
- Chaque élève propose sa propre note et l’enseignante entérine, après entretien individuel en cas de désaccord avec la proposition de l’élève, et sur la base de comparaisons avec les résultats d’autres élèves dans le cas où la notre proposée par l’élève est supérieure à celle proposée par l’enseignante. L’enseignante est garante de l’équité.
Il y a beaucoup de ressemblances avec mon approche d’enseignement par badges ! Je donne en début de semestre un graphe des compétences à acquérir, regroupées en badges, avec les prérequis et un nombre de points attribués à chaque badge. Chaque Étudiant peut définir ses objectifs sous la forme d’un parcours (une suite de badge) et peut revoir ces objectifs à la baisse ou (préférentiellement) à la hausse. A l’exception des badges abordés en toute fin de semestre, il y a un droit à l’erreur : Un Étudiant qui a raté la validation d’un badge peu en tenter une nouvelle plus tard, et les erreurs ne sont pas pénalisantes. La principale différence est que mon approche est asynchrone. Tous les Étudiants ne préparent pas et ne valident pas les mêmes badge en même temps, et il n’y a que très peu de séances d’enseignement simultané. Chacun travaille à son propre rythme, au mieux de ses possibilités.
Constats
Marie-Camille constate une très forte motivation des élèves. Ils travaillent pour la note. « Comme ils peuvent tout le temps travailler pour la note, ils travaillent juste… tout le temps ! » Il y a aussi une très forte responsabilisation de la tête de classe, qui entraîne une « dynamique de classe » positive.
Je fais exactement le même constat à propos de l’engagement et de la motivation de mes Étudiants. Depuis qu’ils ont un objectif clair, matérialisés par des badges rapportant des points qui se cumulent pour constituer leur note de contrôle continu, et qu’ils ont droit à l’erreur, ils travaillent à un rythme beaucoup plus soutenu pour tenter de valider autant de badges que possible.