Retour d’expérience sur le téléenseignement

Voici plusieurs semaines que je pratique l’enseignement à distance en L2 (programmation en langage C et C++) et L3 (programmation logique et fonctionnelle). Quels sont les constats ?

Assiduité

Je constate que le nombre d’étudiantes et d’étudiants présents en ligne est au moins égal (L2), voire supérieur (L3) à celui habituellement constaté en présence hors crise sanitaire, avec plus de la moitié de l’effectif théorique (i.e., nombre d’inscrits) connectés aux réunions TEAMS utilisées pour les CM (cours), TD (travaux dirigés) et TP (travaux pratiques).

Interactions et rétroactions

J’invite toujours mes élèves à poser des questions sur la canal de discussion de la séance d’enseignement, ou oralement, ou par conversation écrites privées avec TEAMS. Le nombre de questions me semble être du même ordre que celui constaté en présence, à savoir qu’une minorités des élèves en posent.

Par ailleurs, je diffuse régulièrement des sondages destinés à savoir le nombre d’élèves ayant atteint un certain stade dans le déroulement de la séance en cours avec par exemple des options telles que « J’ai terminé l’exercice XC04 » et « Je suis bloqué et j’ai besoin d’indices ou d’explications ». Tout le monde ne répond pas, ne serait-ce que parce que les participantes et participants ne regardent pas en permanence la canal de discussion qui peut être masqué par d’autres fenêtres sur leur écran, mais en général au moins la moitié des personnes connectées participent.

Je propose également des tests de compétences et de connaissances en ligne sous la forme de questionnaires de type QCM ou réponses courtes à correction automatique auxquels participent presque toutes les personnes connectées. Ces tests on vocation à permettre aux élèves de prendre conscience de leurs lacunes et d’éviter un excès de confiance qui pourrait les conduire à une démarche d’apprentissage trop passive.

Nous avons également proposé, lors des séances de TP, des entretiens individuels avec les étudiantes et étudiants qui en ressentaient le besoin. Cela m’a permis de comprendre que certains et certaines ont pour principal problème l’isolement. Il s’agit notamment de personnes arrivées cette année sur le campus et n’ayant pas eu le temps de nouer des contacts avant le passage en téléenseignement.

Il me paraît important de préciser qu’en présence, nous ne pouvons nous permettre le luxe de réaliser de tels entretiens individuels.

Pédagogies synchrone versus asynchrone

En L2, je dispose de suffisamment d’heures pour mettre en oeuvre une pédagogie asynchrone au moins pour une partie de l’enseignement. Concrètement, les élèves suivant un CM peuvent répartir leur temps de travail entre l’étude des nouvelles notions introduites et le traitement d’exercices de différents niveaux. Certains élèves progressant plus lentement font le choix de travailler sur des notions introduites lors des semaines précédentes qu’ils n’ont pas encore assimilées et sans lesquelles il ne pourraient comprendre les contenus actuels. Ces différents rythmes de progression sont possibles :

  • grâce à la disponibilité en ligne d’un matériel pédagogique permettant une certaine autonomie d’apprentissage : fiches, documents pdf, vidéos, exercices de découverte, d’assimilation et de consolidation, tests à correction automatique, indices et solutions de certains exercices (à utiliser en dernier recours),
  • et grâce à la possibilité donnée aux élèves de poser des questions à l’enseignant, y compris hors des séances d’enseignement.
Un exemple de fiche de cours

Mais j’ai également fait des exposés traditionnels en direct lors d’un CM pour lequel je n’avais pas eu le temps de réaliser une vidéo d’introduction des nouvelles notions abordées. Ces exposés avaient une durée d’au plus 20 minutes et étaient séparés par des activités basées sur des exercices de découvertes, suivies d’un corrigé explicatif.

J’ai alors demandé aux élèves, par sondage anonyme, s’ils préféraient suivre un tel cours (partiellement) en direct ou s’il préféraient disposer d’une vidéo du même contenu.

Je leur ai également demandé s’il préféraient étudier des fiches ou un document pdf.

Ces résultats me semblent extrêmement intéressants car ils montrent une préférence nette pour un apprentissage asynchrone, en particulier avec des supports écrits (qui utilisent beaucoup de graphiques et de couleurs). Beaucoup d’étudiantes et d’étudiants semblent apprécier l’approche asynchrone leur permettant de progresser à leur propre rythme.

Efficacité ressentie

J’ai demandé à mes élèves de L2 s’ils pensaient de l’efficacité de mes cours à distance au regard d’un enseignement en présence traditionnel en condition CoVID (masques et autre contraintes sanitaires) et en condition ordinaires, sans contrainte sanitaires.

Les résultats sont sans appel. Une majorité d’élèves considère que mes enseignements à distance sont au moins aussi efficaces que des enseignements traditionnels en présence. Cela s’explique en partie par le fait qu’un enseignement de programmation en langage C est plus efficace quand les élèves peuvent tester leurs solutions sur ordinateur. Or en présence, sur 55h, il ont seulement 16h sur ordinateur, en se partageant une machine pour 2. Ici, le distanciel pallie l’indigence du présentiel.

J’ai posé la même question à mes étudiantes et étudiants de L3 qui avaient suivi un cours théorique de lambda-calcul en direct, et donc en mode synchrone, faute de disposer de suffisamment de temps pour faire mieux. Toutefois, le matériel pédagogique mis à disposition en ligne permet de reprendre de manière autonome le contenu du cours.

Malgré les conditions moins propices au téléenseignement, une grande majorité des élèves considèrent qu’il est au moins aussi efficace qu’un enseignement en présence.

Ressenti de l’enseignant

J’ai globalement le sentiment de faire un bon travail, au moins aussi efficace, voire plus, que ce que je fait habituellement en présence. Je bénéficie de bien meilleures conditions matérielles que celles d’un cours ou d’un TD traditionnel (même sans contraintes sanitaires). Je peux proposer à mes élèves des activités sur ordinateurs, impossibles en présence car peu d’entre eux et d’entre elles possèdent une machine portable tenant la charge. J’ai au moins autant d’échanges avec mes élèves qu’en enseignement présentiel. Ceci au prix d’une quantité de travail largement supérieure à celle habituellement nécessaire, notamment en raison du temps consacré à la conception de matériel pédagogique adapté. Au moment où j’écris ces lignes, je cumule 296 heures de travail sur les 30 derniers jours, ce qui représente une moyenne tutoyant le 10h par jour, en incluant les samedi et dimanches, et dépassant les 70h par semaine. Mais dans le cadre d’un régime permanent de téléenseignement, cet investissement serait ventilé sur plusieurs années.

Je ne doute pas que certains étudiants et certaines étudiantes gagneraient à revenir en présence au moins à temps partiel, mais cela impliquerait que les enseignantes et enseignants travaillent à 100% en présence tout en continuant d’assurer des enseignements à distance pour une majorité de leurs élèves, ce qui ne semble pas réalisable avec les moyens humains et matériel dont nous disposons actuellement.