En classe, résigné à passer des journées entières dans un environnement très normatif, je pensais souvent aux vertes vallées de ma campagne. C’était hors des murs de l’école, où tant de choses devenaient plus passionnantes et attrayantes, que ma soif d’apprendre était la plus forte.
Sans connaître le mot, j’ai réalisé un jour qu’une grande partie des plus de 10000 heures que j’ai passées dans des établissements d’enseignement avant le bac relevaient du présentéisme. Pendant ces moments interminables de présence imposée, je ne percevais qu’un vague écho de ce que disaient les enseignantes et enseignants et mon esprit vagabondait.
Un jour, quand l’homme sera sage, Lorsqu’on n’instruira plus les oiseaux par la cage,…
[Victor Hugo, Les contemplations]
Il arrivait, cependant, que toute mon attention soit captée par un cours, que je ressente le bonheur de comprendre une notion, un principe, d’en capturer la logique, et surtout l’envie de l’utiliser, hors du contexte scolaire, pour résoudre des problèmes, créer des textes, inventer des machines, ou découvrir par moi même de nouvelles connaissances. Mais ces moments de grâce ne représentaient qu’un petit fragment de mon temps scolaire.
Plus tard, devenu enseignant, je me suis beaucoup investi dans la recherche d’approches pédagogiques plus efficaces que celles avec lesquelles j’avais été formé. Mon premier objectif était de conduire plus d’étudiantes et d’étudiants vers la réussite, mais au delà, je me suis mis à rêver d’un système éducatif où les élèves passeraient moins de temps enfermés dans des salles de classes.
Pendant des décennies de fréquentation d’établissements d’enseignement, d’abord comme élève, puis comme enseignant, j’ai été partagé entre le plaisir d’apprendre, de transmettre, et la frustration d’être coincé dans le carcan de l’unité de temps et de lieu de l’enseignement traditionnel.
Aujourd’hui, je suis convaincu que l’objectif le plus noble qui soit est de conduire les personnes apprenantes vers l’autonomie d’apprentissage. En rendant les gens capables d’apprendre par eux-mêmes, et en mettant à leur disposition toutes les ressources idoines, on leur donne accès aux bénéfices de l’acquisition des savoirs en restreignant aussi peu que possible leurs libertés.
C’est pourquoi je plaide pour que la progression dans l’autonomie d’apprentissage, à tout âge, soit considéré comme un objectif à part entière, pris en compte dans les critères d’évaluation des méthodes et pratiques d’enseignement. Transmettre des connaissances et des compétences, c’est bien, et c’est nécessaire car les enfants ne peuvent être autonomes dès leur plus jeune âge. Mais amener ces mêmes enfants, et à fortiori les personnes plus âgées, vers la plus grande autonomie d’apprentissage possible, c’est encore mieux.
Ce que je défends n’est pas d’obliger les gens à apprendre seuls, connecté à des machines, sans contact avec d’autres humains, mais de leur offrir, tout au long de leur vie, plus de choix, plus de liberté en matière de postures et contextes d’apprentissage, et de leur permettre, toutes choses étant égales par ailleurs, de limiter leur temps de présence non indispensable et non souhaitée en classe. L’enseignement en présence doit être considéré comme un moyen de transmission des savoirs, en aucun cas comme un objectif en soi.
Je ne m’attends pas à ce que chaque personne atteigne au même âge un même niveau d’autonomie. Mais je ne vois pas de raison d’imposer des contraintes scolaires à celles et ceux qui n’ont pas besoin d’un accompagnement soutenu pour exploiter pleinement leur potentiel. Je ne m’attends pas non plus à ce qu’une majorité de personnes puisse tout apprendre sans aucune aide. Il ya un immense espace de possibilités entre laisser les gens complètement livrés à eux-mêmes et les obliger à passer des milliers d’heures confinés dans des classes de 30 élèves.