Je vois passer sur Twitter et sur certains sites WEB des billets qui présentent l’efficacité de la pédagogie de la découverte comme un mythe et préconisent de l’abandonner complètement au profit d’une approche pédagogique plus explicite, voire d’une méthode appelée « enseignement explicite » dont l’efficacité est démontrée par des données probantes.
Au cours de ma scolarité et de mes études supérieures, j’ai été confronté aux deux approches, souvent utilisées conjointement. Je relate ici quatre situations vécues montrant certains avantages et inconvénients d’un enseignement implicite et d’un enseignement explicite.
Quatre exemples
Un souvenir merveilleux d’enseignement par la découverte
J’étais au lycée, en classe de première technique spécialité électronique. Un matin d’automne, en cours de technologie, l’enseignant nous distribue une feuille sur laquelle est imprimé un schéma comportant une dizaine de composants (résistances, comparateur, compteur, bouton poussoir…), sans aucune explication. Il nous demande de déterminer ce que réalise le bloc fonctionnel représenté par ce schéma.
Mon cerveau entre dans une phase de réflexion intensive, il analyse, décompose, fait des hypothèses, les vérifie. En quelques minutes, je parviens à reconstituer la séquence de fonctionnement, le rôle de chaque composant et tout s’éclaire. Le moment est fantastique, gratifiant. J’en garde un souvenir formidable. Je pense que ce type de réussites a contribué à me donner confiance en moi, m’a incité à approfondir mes connaissances, à m’investir dans mes études, mais aussi à aller au delà des programmes d’enseignement en créant mes propres schémas.
C’est une chose de comprendre l’explication donnée par un enseignant. C’en est une autre, autrement plus jubilatoire, que de parvenir à trouver soi-même la solution d’un problème complexe.
Un souvenir d’enseignement implicite catastrophique
J’ignore si les méthodes d’enseignement des langues pratiquées dans les années 1980 sont catégorisées par les spécialistes comme pédagogie par la découverte, mais le fait est que mes enseignantes s’exprimaient uniquement, depuis le premier cours, dans la langue enseignée et que les élèves devaient découvrir par eux mêmes le sens des mots et phrases prononcées.
Je me rappelle avoir passé, durant mes années collège, des centaines d’heures en classe de langue sans jamais vraiment comprendre ce que disait l’enseignante. Des heures perdues, d’autant plus frustrantes que je voyais d’autres élèves comprendre, répondre aux questions, progresser, alors même que je ne savais même pas à quelle page ouvrir mon livre parce que l’information nous était donnée oralement dans une langue que je ne parvenais pas à déchiffrer. Je parvenais à décoder un peu les écrits, mais les mots étaient comme du bruit.
Un souvenir d’enseignement explicite infructueux
À l’école primaire, on m’a enseigné à réaliser des divisions euclidiennes de manière très explicite, en appliquant une recette, présentée étape par étape, à grand renfort d’exemples, suivis de nombreux exercices de difficulté croissante. Mais je n’ai jamais réussi à maîtriser cette technique de division de manière fluide.
Même aujourd’hui, à 58 ans, je ne réalise pas une telle opération de manière fluide, alors que je suis docteur et enseignant chercheur universitaire en informatique. Pourquoi ? Peut-être parce que j’ai toujours trouvé rébarbative la réalisation de choses répétitives à base de recettes, surtout lorsque j’étais enfermé des journées durant dans une salle de classe, et que par la suite, je n’ai jamais vraiment eu besoin de réaliser des divisions euclidiennes à la main.
D’une manière générale, la plupart des des enseignements de mathématiques que j’ai reçu étaient très explicites, mais m’ont paru peu passionnants, par comparaison à tout ce que je pouvais créer, découvrir, inventer, réaliser dans en dehors des murs de l’école.
Un souvenir d’enseignement explicite captivant
C’était en licence d’informatique, dans les années 1990. Mon enseignement préféré était un cours de langages formels dispensé de manière très explicite. Je découvrais un domaine complètement nouveau, insoupçonné, à un rythme qui me permettait de comprendre en temps réel ce que disait l’enseignant, et donc de rester engagé, et même captivé.
J’étais « mûr » pour suivre ce cours, au rythme où il était dispensé, et j’avais les prérequis et capacités pour m’approprier intellectuellement les notions introduites. Mais au sein d’une cohorte de personnes apprenante suivant un même enseignement, les différences de niveaux, prérequis et vitesses d’apprentissage sont considérables. Ce rythme d’enseignement idéal pour moi était donc nécessairement trop rapide pour certains et certaines de mes condisciples, à qui ce cours a sans doute été beaucoup moins profitable.
Quelques réflexions inspirées par ces exemples
Je comprends que la pédagogie par la découverte soit moins efficace qu’un enseignement plus explicite pour obtenir rapidement des résultats avec une cohorte d’élèves de niveaux très différents, et aussi qu’elle puisse être contre-productive en décourageant certaines personnes apprenantes. C’est précisément ce qui m’est arrivé avec l’allemand et l’anglais, et qui m’a conduit à prendre en grippe ces deux matières. Mais si, lorsque les conditions sont réalisées pour qu’elle fonctionne, cette pédagogie peut porter très haut le plaisir d’apprendre, produire des souvenirs inoubliables, et susciter des vocations, alors peut être ne faut-il pas la rejeter complètement, mais plutôt l’utiliser à bon escient, en complément d’une pédagogie plus explicite.
La vraie question est celle des objectifs du système éducatif auquel on se réfère. Si on souhaite un système éducatif très normatif dont l’idéal est de transmettre les mêmes compétences et connaissances à tous les enfants d’un même âge, en supposant qu’un tel objectif soit réaliste, alors la pédagogie par découverte est clairement peu pertinente.
Mais si on change de perspective en souhaitant que chaque personne progresse au mieux de ses capacités dans l’acquisition des connaissances et compétences essentielles tout en développant ses talents personnels et son autonomie, alors la différenciation des objectifs devient une évidence et la différenciation des approches pédagogiques doit être considérée sous un jour nouveau. Un jour sous lequel la diversité ne concerne pas uniquement les origines des élèves, mais aussi leur évolution, leurs aspirations, les savoirs qui leur sont transmis, et sous lequel la qualité des enseignements dispensés ne peut se réduire à un indicateur chiffré.
Jusqu’à une époque récente, une différenciation des objectifs d’apprentissage – sans parler de faire bénéficier certaines personnes apprenantes d’activités basées sur des pédagogies spécifiques – était virtuellement inenvisageable dans un contexte d’enseignement de masse. Mais je suis convaincu que les technologies numériques, dont le potentiel pédagogique reste encore largement à défricher, peuvent radicalement changer la donne, non pas en se substituant aux enseignantes et aux enseignants, mais en les libérant de certaines tâches répétitives et mécaniques pour leur permettre de consacrer plus de temps au suivi des élèves. C’est un sujet que je développerai dans un prochain billet.